17 juin 1997 : naissance difficile pour Le Mouv’ 17 juin 2012
Posté par Le Transistor dans : Anniversaires,Archives,Histoire,Le Mouv',Radio France , trackbackSans tambour ni trompette, Le Mouv’ fête aujourd’hui son quinzième anniversaire. Les faibles résultats de la station, son maigre bilan, son déficit d’image et son histoire mouvementée incitent apparemment Radio France à faire profil bas pour l’évènement. Aucune déclaration ni émission spéciale ne viendront semble-t-il célébrer cet anniversaire.
Cette journée offre tout de même l’occasion de se pencher à l’aide de quelques archives sur les débuts difficiles de la station et l’histoire agitée de ses premiers mois d’existence.
Tout a donc commencé le mardi 17 juin 1997 à 13 heures par une déclaration de Michel Boyon, PDG de Radio France, et un bref montage sonore :
Lorsque Michel Boyon lance cette nouvelle antenne publique dédiée aux jeunes, la joie est toute relative au sein de la Maison ronde.
Le Mouv’ souffre tout d’abord de l’indifférence, voire de l’hostilité des personnels de Radio France. Personnels qui voient d’un mauvais œil cette nouvelle venue en raison de la culture du secret qui a entourée sa gestation, et des craintes liées à son coût de fonctionnement : faudra-t-il déshabiller d’autres antennes de Radio France pour « nourrir la petite dernière ? » [1].
Le contexte politique du mois de juin 1997 est par ailleurs loin d’être favorable à Michel Boyon, ancien conseiller ministériel sous des gouvernements RPR. Suite à la dissolution de l’Assemblée Nationale souhaitée par Jacques Chirac, le pays connaît sa troisième cohabitation et la nouvelle ministre socialiste de la Culture et de la Communication, fraîchement investie deux semaines plus tôt (Catherine Trautmann), s’intéresse de près aux chantiers audiovisuels lancés par les patrons nommés par la droite.
Ainsi, mise devant le fait accompli du lancement du Mouv’ à son arrivée, la ministre soutient le projet, mais lui donne tout de même trois mois pour faire ses preuves !
Sitôt la rentrée de septembre passée, le ministère de la Culture démarre donc une procédure d’évaluation du Mouv’ et envoie notamment un questionnaire à la présidence de Radio France sur les moyens, le contenu et le développement de la radio. [2]
Un audit approfondi est par ailleurs confié au SJTI (le Service Juridique et Technique de l’Information, dépendant de Matignon). Les conclusions du rapport sont dévoilées quatre mois plus tard, le 2 février 1998, et sont plutôt sévères sur les premiers pas de la station. Elles mettent notamment en exergue le manque de consultation au sein de Radio France sur le projet, un plan de diffusion aberrant, l’équilibre économique précaire du Mouv’, l’improvisation qui a régné lors de son lancement et des programmes à l’ambition plutôt floue.
« Le Mouv’ a été élaboré « à part » de l’entreprise » [3]
C’est là la faute originelle commise par Michel Boyon lors de la réflexion sur ce nouveau programme : il n’a pas jugé bon d’associer les différentes antennes de Radio France au projet, d’où une certaine défiance des personnels à son encontre.
A peine arrivé à la présidence du groupe fin 1995, Boyon est soucieux de rajeunir l’audience vieillissante des chaînes. L’idée d’une station censée attirer des oreilles plus jeunes vers l’univers de Radio France fait son chemin, et reçoit le soutien appuyé du ministre de tutelle de l’époque : Philippe Douste-Blazy.
Pas moins de 150 projets provenant de producteurs, journalistes et techniciens maison sont alors transmis à la tête de Radio France. Ces travaux ne seront cependant jamais réellement pris en compte, et Michel Boyon préfère missionner parallèlement sur le sujet un producteur de France Inter, Olivier Nanteau, conseillé par trois autres personnalités du monde de la radio : Marc Garcia (responsable de la programmation musicale de France Inter, auparavant fondateur et dirigeant d’Europe 2), Gilles Carretero (réalisateur à Radio France), et Joël Pons (ancien de Superloustic, réseau privé destiné aux enfants). [4]
L’attelage travaille alors dans le plus grand secret à ce que sera le contenu du Mouv’, en rapportant directement à Boyon leurs avancées et en utilisant une succession de noms de code pour désigner le projet : Arthurine, puis Alpha, puis Résoméga… [5]
Après un an de travail, de maquettes réalisées, d’embauches effectuées, le projet Mouv’ est prévu pour être lancé au mois de juin 1997. L’agenda politique va alors se superposer à l’agenda médiatique : la droite perd les élections législatives de mai 1997, et un gouvernement « Gauche plurielle » s’installe dans la foulée. A son arrivée rue de Valois, la nouvelle ministre de la Culture et de la Communication, alertée par les syndicats de Radio France, émet quelques réserves sur ce projet de radio publique montée sans réelles consultations et concertations. Michel Boyon n’en a cure et inaugure alors son bébé comme il l’entend, en passant en force.
« Le plus aberrant des plans de diffusion » [6]
Comme l’écrit le Canard Enchaîné en 1998 : « un peu comme si une chaîne de supermarchés choisissait de planter ses magasins là où il y a des terrains vagues disponibles, mais sans savoir s’il y a le minimum vital de consommateurs dans le secteur. La radio jeunes de Radio France n’a pas du tout recherché les villes où le jeune se faisait abondant, mais seulement les villes où Radio France disposait de fréquences disponibles. »
Soucieux de sauvegarder la paix sociale à Radio France, Michel Boyon n’envisage ni de prendre des fréquences doublons aux autres chaines de Radio France (France Musique ou France Culture à Paris, Radio France Hérault à Montpellier…), ni de fermer certaines locales urbaines de FIP pour assurer un réseau de diffusion confortable au Mouv’. Seule Radio France Toulouse est purement et simplement supprimée pour faire place à la station jeune dans la deuxième ville étudiante de France.
Histoire de ne pas être accusé de favoritisme par les groupes radiophoniques privés, le gouvernement ne procède pas de son côté à d’éventuelles préemptions de fréquences, et le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel ne dégage aucune nouvelle ressource hertzienne. Ainsi obligée de rationaliser elle-même son parc d’émetteurs, Radio France en est donc réduite à utiliser les quelques fréquences disponibles dont elle dispose sur de petits bassins de population ; le réseau du Mouv’ est ainsi constitué essentiellement de villes moyennes dans des zones rurales où les étudiants se font rares.
Cette diffusion restreinte, éloignée de son public cible est un caillou dans la chaussure de Michel Boyon. Comment justifier un projet coûteux si son audience est certaine de rester confidentielle ?
« Un risque de dérive non négligeable du budget » [2]
Autre point reproché au Mouv’ : son coût de fonctionnement. Estimé à 33 millions de francs en 1998, il augmenterait de 25% par la suite en raison de l’enrichissement du programme, de l’extension de la diffusion, et surtout du déménagement et de l’installation de toute l’équipe à Toulouse à partir du 1er avril 1998.
Privée de fréquence parisienne, et boudée par les personnels de la Maison ronde, la station devient en effet le premier réseau national développé hors de Paris. Cette décentralisation engendre cependant un surcoût annuel de fonctionnement de 4 à 5 millions de francs. Des ressources doivent donc être trouvées et réparties au sein de Radio France. Les syndicats dénoncent par exemple à l’époque l’importante réduction du budget des émissions dramatiques de France Culture afin de tenir l’équilibre financier du Mouv’. [4]
« Les débuts de la station ont été marqués par un manque de rigueur et une certaine improvisation nuisibles à la crédibilité de l’antenne » [7]
Que peut-on entendre sur le Mouv’ lors de ses premières semaines d’existence ?
Assez peu de vie tout compte fait. Un unique animateur est présent dans les premiers temps : Tristan Pantalacci. Ce n’est qu’à la rentrée de septembre que l’antenne sera dotée d’une véritable grille des programmes et de voix plus nombreuses. En attendant, l’été s’écoule essentiellement avec un flux musical original et diversifié : du rock, de la pop, de l’électro, du rap, des artistes français très bien exposés et un chouïa de world-music deux fois par heure. A mi-chemin entre Radio Nova et Couleur 3, Le Mouv’ représente une véritable alternative musicale aux radios privées et célèbre la « fusion des genres, les nouveaux sons contemporains, et se fait l’écho des nouvelles tendances » [8].
Au milieu de cet océan de musique, « quelques îlots de sens » selon l’expression d’Olivier Nanteau, premier patron du Mouv’, mais aucun rendez-vous à heure fixe, afin de s’adapter aux pratiques d’écoute des jeunes, qui sont censés ne pas consommer les médias comme les autres et zappent énormément. [9]
Quelques courts bulletins d’information se font par exemple entendre à des horaires improbables, comme ici à 13h21 le 17 juin. Hervé Gardette présente le tout premier flash du Mouv’ :
D’autres contenus sur l’emploi, les études, le logement ou la santé déboulent sans crier gare avant de laisser à nouveau la place au flux musical automatisé (Le Mouv’ est alors la première station de Radio France entièrement numérisée et pilotée par informatique). Il s’agit le plus souvent de simples témoignages d’expériences recueillis par les quelques jeunes reporters du Mouv’. A l’image du tout premier sujet diffusé sur l’antenne à 13h13 le 17 juin : une interview d’un plagiste par Rebecca Manzoni.
Excepté ces quelques pastilles, l’antenne est donc bien morne jusqu’en septembre. D’autant que le premier habillage de l’antenne est ultra-répétitif et ne comporte que très peu de jingles :
Ce package peu diversifié présente également le défaut d’être peu compréhensible par l’auditeur distrait. J’écoute quoi là ? Mou ? Houhou ? Gnouf ? Ouf ?
De nouveaux jingles plus intelligibles viendront donc compléter l’habillage dans les mois qui suivent.
« Une conception programmatique plutôt floue » [2]
A partir de septembre 1997, Le Mouv’ trouve sa vitesse de croisière et la grille des programmes s’installe véritablement, alimentée par l’ensemble des animateurs, journalistes, programmateurs et techniciens recrutés (une soixantaine de personnes).
Les animateurs sont chargés de présenter les références musicales pointues et d’introduire les différents modules diffusés : des thématiques hebdos, quatorze flashes infos par jour, une revue de presse, un magazine de la rédaction de vingt minutes, des chroniques multidiffusées (Associations/initiatives, Bouquins, Cinéma, Economie, Europe, Formation, Logement, Médias, Multimédia, Santé, Tendances, Musique). [8]
L’audit du SJTI pointe tout de même en 1998 des programmes dénués de repères horaires clairs et de contenus véritablement consistants, et appelle de ses voeux un recadrage de l’ensemble, à l’exception de la programmation musicale jugée suffisamment ambitieuse.
Et de réorientation il ne sera pas vraiment question dans les mois qui suivent. Olivier Nanteau va rester fidèle à son concept de « radio de flux » et seuls quelques ajustements du programme seront effectués à la marge durant la saison 1998-1999.
La formule expérimentale du Mouv’ n’évoluera véritablement qu’à partir de l’été 1999, sous l’impulsion de Marc Garcia, devenu patron de la station quelques mois plus tôt (Jean-Marie Cavada, le nouveau PDG de Radio France, le nomme le 8 mars 1999).
Garcia conservera l’ensemble des ingrédients du Mouv’ des débuts, mais en les ordonnant et les hiérarchisant. Le flux musical sera également revu et l’éclectisme fera place à une programmation centrée sur une niche plus marketing : le pop-rock.
En échange de ce virage éditorial censé attraper davantage d’auditeurs, Jean-Marie Cavada saura trouver de nouvelles fréquences urbaines au Mouv’ par l’intermédiaire du plan bleu (création de la marque France Bleu et rationalisation du parc de fréquences de Radio France).
Dès lors, cette « radio mal née » gagnera en visibilité et en audience, mais ne sera pas exonérée pour autant de nouvelles péripéties et de nouveaux débats quant à son utilité et sa réelle mission de service public.
Aujourd’hui, la station est finalement devenue sous l’impulsion de Jean-Luc Hees beaucoup plus culturelle et informative mais la question de sa survie se pose toujours au regard de sa confidentialité.
[1] Libération du 18 juin 1997
[2] Libération du 18 septembre 1997
[3] L’Express du 19 février 1998, entretien avec Francis Brun-Buisson, directeur du SJTI
[4] Télérama du 11 novembre 1998
[5] Libération du 6 mai 1996
[6] Le Canard Enchaîné du 18 mars 1998
[7] Libération du 17 février 1998
[8] Brochure de promotion du Mouv’, mai 1998
[9] Interview de Marc Garcia, Télérama du 27 octobre 1999
Illustrations : brochure de promotion du Mouv’, mai 1998
Commentaires»
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Article très intéressant. A la lecture on comprend que la principale difficulté du mouv est les casseroles qu’elle se traine. Pas assez service public pour certain, trop formaté rock ou ayant perdu son esprit rock pour d’autre. Pourtant aujourd’hui la radio semble trouvé sa voix. Une matinale qui mélange actu, musique chroniques et reportages. Des émissions musicales avec des lignes éditoriales et des partis pris, des découvertes (LLP, Rodéo) qui tranche avec les playlists ultra formatées des radio jeunes privées (même oui fm sous ces airs rock est très formatés). Des chroniques et émissions sur les « cultures jeunes » (jeux vidéo, BD Saison 1 épisode 1).
Tous n’est pas parfais pour autant. Certains animateurs n’ont pas une « identité très mouv ». Je n’est rien contre eux mais je pense que le mouv est une radio générationnelles et les animateurs doivent avoir des centres d’intérêts communs avec le public jeune. C’est une bonne idée de proposer une émission culturelle quotidienne mais à mon avis le magasin centrale aurait plus d’impact en quotidienne et a des centres de préoccupations plus proche du public jeunes que le plan b de Bonnaud.
Bref si jamais des gens du mouv lissent ce com. merci pour vos programmes actuelles , vos podcasts, continué sur cette voix.
un auditeur qui vous est rester fidèle.
Bonjour Guillaume,
Merci pour ton commentaire.
Entièrement d’accord avec toi sur le Magasin Central qui mériterait une quotidienne toute l’année.
Pour résumer la situation actuelle du Mouv’, c’est un France Inter musical ! Trop de bla bla autour de sujets politiques et de sociétés suivi par de la musique rock qui ne s’accorde pas du tout avec les émissions non-thématiques.
Bonjour, absolument invraisemblable cette histoire ! Merci d’avoir cadrer l’aventure extra-ordinaire de cette radio « inventée » par le fait du Prince à Toulouse et pourquoi pas à Bastia ? J’en profite pour pousser mon petit écho (sic) sur mon blog dès demain matin : radiofanch.blogspot.fr
Bonjour, absolument invraisemblable cette histoire ! Merci d’avoir si bien cadré l’aventure extra-ordinaire de cette radio « inventée » par le fait du Prince à Toulouse et pourquoi pas à Bastia ? J’en profite pour pousser mon petit écho (sic) sur mon blog dès demain matin : radiofanch.blogspot.fr
OK, à demain matin sur Radio Fañch alors…